Pour la création d’un observatoire ouvert et permanent sur l’autoritarisme
«Jusqu’en 1924, donc jusqu’à la victoire du fascisme, à en croire l’homme de lettre et député Piero Calamandrei, s’est maintenue “l’illusion généreuse de la liberté qui se défendrait toute seule, comme une force de la nature”. Durant la montée du fascisme, il n’y a pas eu “de désorientation ni d’erreur de la part des gens honnêtes et civilisés”, mais “de la lâcheté et de la faiblesse”, ils se sont installés dans une posture d’“anémie critique” face à “l’écœurante uniformité de tous les journaux” et à la “rhétorique répugnante, arrogante et mensongère, qui s’était immiscée partout comme une contagion” et qui avait “rendu même les titres de certains journaux insupportables aux gens de bon goût”.
Nous risquons de tomber dans la même désorientation et la même erreur aujourd’hui, tandis que de nombreux paliers sont franchis qui érodent notre modèle démocratique : avec la criminalisation du conflit, la férocité du langage, la remise en cause de la liberté d’expression et du droit de manifester ; avec une idéologie de la surveillance qui voudrait s’imposer dans les écoles, les universités, les établissements publics et les lieux de travail ; avec une hypertrophie punitive qui introduit chaque jour de nouveaux crimes et délits – au total, au cours des deux premières années du gouvernement de Giorgia Meloni, ce sont pas moins de 417 années de peines de prison en plus qui ont été prononcées, et qui vont peser sur le système carcéral. Des mesures qui, de l’interdiction des rave parties au projet de loi “éco-vandales” qui vise les militants pour le climat prenant possession de certains monuments historiques, de la requalification de la gestation pour autrui en “délit universel” à la banalisation de la création de zones d’exclusion en ville limitant le droit de manifester, nous voyons s’ajouter les unes aux autres des réglementations qui pourraient être frappées d’inconstitutionnalité, et qui ont été instaurées sous couvert de “sécurité”.
Nous sommes préoccupés par l’évidente indifférence de l’exécutif à l’égard des limites que la constitution impose à l’exercice du pouvoir ; par l’élaboration de réformes préjudiciables à la démocratie parlementaire, à la présidence de la République, à l’équilibre et à la séparation des pouvoirs, ainsi qu’à l’autonomie du pouvoir judiciaire ; par l’utilisation répétée de décrets d’urgence et de règlements exceptionnels érigée en un mode de gouvernement. L’exécutif actuel a dépassé, avec l’introduction de 84 nouveaux décrets-lois, la législature précédente, au cours de laquelle deux gouvernements (Giuseppe Conte-II et Mario Draghi) avaient dû faire face, notons-le, à la crise pandémique.
Le glissement d’un état d’urgence temporaire à un état d’exception structurel s’accompagne d’une reconfiguration des médias, qui désignent des ennemis et des boucs émissaires parmi les personnes les moins protégées, et amplifient la perception des menaces, justifiant et faisant passer pour pleine de bon sens une politique de réduction des droits et des espaces de liberté.
C’est pourquoi nous avons décidé, en tant que citoyens, enseignants, juristes, intellectuels, travailleurs de l’information, de créer un espace ouvert et permanent de réflexion, d’analyse et de témoignage sur la progression des formes autoritaires en Italie, en les replaçant dans le contexte européen et international.
Nous pensons à une constellation de lieux physiques et virtuels de prise de parole, de collecte de documents, d’enregistrements historiographiques du temps que nous vivons, qui nous interpelle et nous confie une responsabilité face au déclin manifeste de l’autorité légitime.
La première étape sera constituée par trois journées d’étudeorganisées par Libertà e Giustizia et Castelvecchi Editore en collaboration avec l’université La Sapienza de Rome, l’université d’État de Milan et l’Institut universitaire européen de Florence. Des universitaires et des experts italiens et internationaux interviendront afin d’esquisser des lectures capables de relier différentes sphères – historique, sociale, juridique, constitutionnelle, culturelle, médiatique – et d’identifier les formes de résistance culturelle face à la crise de l’État de droit.
Plus précisément, la journée de Rome sera articulée autour de la crise de la démocratie représentative, des fondements normatifs de la post-démocratie et de la manipulation de la mémoire historique par le populisme autoritaire ; la journée de Milan autour de la relation entre la souveraineté et les droits de l’homme, la crise de l’État de droit, le fascisme comme projet d’évidement de la démocratie constitutionnelle ; la journée de Florence autour de la démocratie à l’heure de l’intelligence artificielle et des algorithmes.
L’objectif est de jeter les bases de la création d’archives qui rassembleront des documents, matériaux, analyses et propositions sur les tendances autoritaires actuelles : d’inventer de nouveaux scénarios pour répondre à l’érosion des principes constitutionnels d’égalité et de solidarité mais aussi à l’instauration d’une société de surveillance ; de s’opposer à la destruction des acquis sociaux, à la marginalisation des pauvres et au durcissement des politiques d’immigration et d’accueil ; de réfléchir à l’avènement de régimes post-démocratiques en Europe et dans le monde, au rétrécissement progressif des espaces de liberté et de participation démocratique active.
Nous ne pensons pas à une initiative académique ou même militante. Nous concevons les archives comme un outil cognitif, ouvrant des espaces d’analyse, de formation et d’information, capables d’activer et de rendre accessible à un public plus large le dialogue entre spécialistes, intellectuels et société civile, avec une attention particulière accordée aux nouvelles générations. L’objectif est de parvenir à une synthèse partagée, de se projeter, de mener un travail de dénonciation politique et, si nécessaire, des actions en justice, en dialogue avec les institutions démocratiques européennes et internationales qui veillent sur l’État de droit. »
La démocratie constitutionnelle, pour paraphraser Piero Calamandrei, ne se défend pas elle-même, mais nous fournit les instruments normatifs pour la défendre.
Pour adhérer: osservatorioautoritarismo@gmail.com